Curtina - Images infrarouge
Projet de recherche visuel en cours sur le domaine de Curtina, en Corse, en collaboration avec Yan Leandri.
2024

“ Depuis la subite modernisation de la Corse des années 1960,l'ensemble des croyances
communes aux populations rurales a perdu une part de son influence.” 


Doroty Carrington, Mazzeri, Finzioni, Signadori : aspects magico-religieux de la culture corse.


Un des récits qui nous est parvenu de Curtina, c’est la rumeur que des che- vaux blancs (des finzione) descendraient du Cantone di l’Agula (Rocher de l’aigle) jusqu’à l’ancien château en ruine qu’était la maison où nous vivons avant sa destruction dans les années 60, reconstruite à partir de ces mêmes pierres.

Ainsi, nous arrivons dans les ambiguités de la finzione : à la fois apparition, récit de l’apparition ou manifestation mazzérique.

Les mazzeri (ou lanceri), personnages psychopompe de la culture corse chas- sant en rêve les morts à venir, verraient en vision ultraviolet selon Roccu Multedo dans son ouvrage Le mazzerisme, un chamanisme corse. À l’une des extrémités du spectre du visible, le rouge. À l’autre, le violet. Entre les deux, une frange de cette lumière est visible. Ce qui nous échappe est d’un côté l’ultraviolet (’au-delà’), et de l’autre l’infrarouge (’en-dessous’).

Le mazzeru est quelqu’un qui voit et qui entend ce que les autres ne peuvent voir ni entendre (Roccu Multedo), se situant à la croisée des plans vivants et morts qu’il transperce de ses yeux, interprétant leurs contacts. Certains se dé- placeraient spirituellement, notamment sous l’aspect d’un chien blanc, mais sous toute autre forme animale selon d’autres sources, nous ramenant aux chevaux blancs du récit de Curtina.

Selon l’autrice Dorothy Carrington, la corse serait une île « qui ne rêve plus ». Face à la perte du récit, envisager Curtina, par son histoire stratifiée, comme une île dans un hors temps, pourrait alors peut-être nous permettre d’accéder à une autre dimension du réel.

Dans le champ du non-perceptible, infrarouge et ultraviolet , en symétrie, peuvent alors peut-être se retrouver, et dialoguer. Avec ma caméra, je prends le spectre non-exploité par le mazzeru, l’infrarouge, afin d’étendre notre sen- sibilité à l’invisible, grande utopie de la photographie à son invention au xixe siècle.

Mais ce projet pose aussi la question du flou autour de la transmission de la culture corse et la fin du récit : beaucoup de témoignages nous ont échap- pées par honte et culture du secret du fait de la répression chrétienne (comme dans le Bocage racontée par J. Favret-Saada) malgré une grande ten- tative de réappropriation à partir de la fin de la guerre de 40.

Le titre finzione provient d’une autre signification de ce mot qui se réfère à l’histoire de la représentation: la fiction.













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