Les hirondelles sont revenues



Installation photographique, 2024

« Tu as vu, même les hirondelles sont revenues!  »



Un jour Pierre-Yves a disparu.

Une disparition comme celles que l’on voit dans les films, innatendue, sans explications. C’était en 2021.

Pierre-Yves avait soixante-dix-sept-ans, et c’était mon ami.

Nous nous sommes rencontré.es près d’une année auparavant dans une discothèque abandonnée, appelée «Le Plantation», le long de la D570, entre Arles et les Saintes-Marie dans les bouches du Rhône.

Elle était abandonnée depuis 2014 pour des raisons qui resteront floues.

Pierre-Yves y vivait seul, s’était présenté comme étant «le gardien du Plantation », embauché par le propriétaire pour veiller sur les lieux.

Il avait emménagé dans une ancienne chambre délabrée du personnel, située au premier étage. Il n’avait pas l’eau courante, et parfois plus d’électricité.  Il  me racontait l’histoire de sa vie, passée et présente, et celle du territoire sur lequel je venais de débarquer comme étudiante en photographie : la Camargue.

Un jour Pierre-Yves a disparu.




-----------------

 



Ce projet a débuté en Octobre 2019 à mon arrivée sur Arles.

Ce projet pourrait s’apparenter à une forme de chantier archéologique, où la ruine étudiée est constituée de milliers de petites pierres et strates.

Ce projet est une ruine incarnant sa propre disparition : la disparition d’un être, mais aussi, en filigranes, celle de l’image.

*

Dès la toute première image, celle-ci me montrait déjà l’absence de Pierre-Yves à venir, comme une anticipation. Il était déjà image et produit imageant dès notre première rencontre. Mais une fois sa disparition avérée, ces photographies ont pris une valeur nouvelle par l’absence physique de mon ami, et par le constat qu’il n’y aura désormais plus de nouvelles images.

Pourtant ces images sont muettes, tenues au silence. Elles n’attestent que de leur propre échec en ce qu’elles ne peuvent retranscrire l’expérience vécue. Et face à l’échec de l’image, il reste le récit, en suspend.

Les souvenirs sont aussi des images, et les images des engrammes mouvants, car ne dépendant plus que de ma mémoire, et des retranscriptions écrites qu’il me reste. Le projet se tient ainsi sur un fil entre obsession et hantise.

Il a fallu accepter que je demeure la seule à pouvoir raconter l’histoire. En acceptant et en concevant le spectateur, je deviens alors opératrice et raconteuse. S’impose alors une relation à trois, entre Pierre-Yves, le spectateur et moi, passeuse du récit. L’operator, le spectator et le Spectrum barthésiens.

Si la méthode de l’enquête documentaire a pour objectif de «combler» les vides (une forme de remplissage du manque) de la disparition, de mon côté à l’inverse, c’est à partir du vide que je travaille, en proposant une expérience : Celle de la perte et de l’absence à travers l’installation, l’usage de la forme, de la matérialité évanescente.

*

*








Vues d’expositions, École Nationale Supérieure de la photographie, 2022.





 --------------------------------------------------





Le rouleau original de l’ouvrage  Sur la route de Jack Kerouac. Crédit photo © Christies, New York






Retranscriptions, texte typographié sur rouleau 400 x 21 cm, 2024  

Durant mes rencontres avec Pierre-Yves, j’enregistrais avec mon téléphone nos discussions, dans l’idée de garder une trace de ces récits, que je retranscrivais de retour chez moi.

À l’image du rouleau de l’ouvrage Sur la route de Jack Kerouac écrit en trois semaines d’une seule traite, je donne pour forme à ces textes un rouleau. Il permet de déployer depuis un socle jusque sur le sol l’ensemble des retranscriptions ,rédigées à partir d’enregistrements sonores datant de 2019.

Il s’agit une fois encore de jouer sur la matérialité de ces supports, volatiles : le rouleau ne pouvant être touché, il demande une circulation afin de le lire dans son entièreté, ainsi qu’un changement de hauteur, de distance. Les 40 derniers centimètres sont du papier vierge, marquant l’espace vide de ces récits manquants.

Aujourd’hui, ces enregistrements ont disparu, et seul subsiste ces dernières traces écrites de sa parole.




Édition “les hirondelles sont revenues”, photographies Léna Besson, design-graphique Yan Leandri, février 2024.


Extrait de l’Édition “les hirondelles sont revenues”, photographies Léna Besson,
design-graphique Yan Leandri,  février 2024.